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La peur

 

Je marchais sur le chemin côtier, une route sinueuse et rocailleuse. L'air était frais, vivifiant, et la pluie ruisselait sur mon manteau. Je ne cessais de souffler tant la montée était ardue, la pluie fouettait mon visage, et je ne songeais qu'à une chose: rentrer. Un temps désastreux pour une promenade improvisée... Je ne profitais pas du paysage; le brouillard dissimulait les falaises de sorte que mes yeux se perdaient dans l'immensité du vide, dans les profondeurs des nuages, dans les abîmes de l'océan. Je m'arrêtai quelques instants pour contempler l'étendue d'eau au pied de la falaise. Des masses d'eau s'abattaient sur les rochers, les submergeant presque entièrement. J'éprouvai un sentiment terrible. Celui de chuter dans ce gouffre, d'immerger tout mon corps d'eau froide, de ne plus pouvoir remonter et de suffoquer, peu à peu, au fur et à mesure que je m'enfonçais dans les abysses. L'idée de me pencher pour évaluer la hauteur entre la falaise et l'océan me paralysait et je me sentais condamnée à demeurer dans l'incertitude et l'appréhension.

Sauf si...

Une voix. Un son. Un cri affolé. Je détournai la tête et découvris une masse sombre au bord du vide, sur la falaise d'à côté. Elle était seule, immobile et elle avait peur de ce qu'elle comptait faire. Mon corps réussit à se mouvoir, suite à ma volonté féroce de bouger et je courus sur le chemin pour bifurquer vers l'endroit où elle se tenait. En me rapprochant, je remarquai que c'était une silhouette d'homme. Il était plutôt maigre, et ses jambes flageolaient sous la peur. Ses cheveux furent ébourrifés par une nouvelle bourrasque. Sa chemise était trempée si bien qu'on pouvait distinguer les contours de son torse. J'eus tellement pitié de lui et de sa fragilité que je voulus le sauver, l'avertir que ce qu'il comptait peut-être faire était terrible. M'entendrait-il ? Voudrait-il m'écouter ? 

- Non, vous ne pouvez pas m'aider, fit-il d'une petite voix qui reflétait une certaine mélancolie. À moins que...

Décidément, il avait les yeux derrière la tête.

- Que s'est-il passé ? dis-je.

Ma voix se perdit et il se rapprocha davantage du bord. J'avais envie de lui faire face et de lui crier " Bon sang, il y a des gens qui voudraient vivre ! Et vous, vous voulez  gâcher tout ça d'une façon brève et stupide ? Vous n'avez pas le droit !". Tout cela me paraissait découler uniquement d'un comportement égoïste, ne plus se battre et laisser tomber...C'est tellement plus simple ! Absurde. Pouvais-je être suffisamment convaincante pour éviter ce geste malencontreux ?

- Pourquoi ?

Il se retourna vers moi. Puis il recula d'un pas. Il était à quelques millimètres à peine du bord. Je serrai les dents et Je finis par prendre une grande inspiration.

- Qui ?

Il y eut un bruit sourd. L'orage éclata et un éclair zébra le ciel. Trempée jusqu'aux os, je m'avançai en direction de lui et plus je me rapprochais, plus je remarquais son visage chétif et ses yeux innocents qui m'ébranlaient le coeur.

- Qui ? répétai-je.

Des larmes commencèrent à couler sur ses joues qui se mêlèrent aux gouttes de pluie. 

- Lui, répondit-il en pointant son doigt vers lui-même.

Il vint vers moi et regarda le ciel.

- Vous voyez, la pluie est en train de cesser. L'océan sera plus calme. Les vagues seront moins fortes. Des gens viendront se promener sur les falaises. Ils profiteront du beau temps et seront heureux. Moi, je ne pourrai pas faire ça parce que je serai déjà mort.  Je suis là depuis ce matin et j'attends que quelqu'un puisse me sauver de mon désespoir. Vous êtes venue juste au moment où j'allais sauter. Néanmoins, vous allez quand même me laisser faire cela parce que si vous me sauvez, alors je serai sain et sauf et je me vengerai de la personne qui m'a poussée à faire cela. 

- Une victime en échange d'une victime ? murmurai-je horrifiée. Qui est cette personne ?

- Moi.

Soit il était bipolaire, soit il était fou à lier. Le ciel se dégagea et bientôt il y eut un rayon de soleil. Je retirai mon imper pour pouvoir sécher. Lui, il ôta sa chemise.

- J'ai fait le Mal et je dois être puni.

- Qu'avez-vous fait ?

- Je vous ai tuée il y a une semaine. Vous avez devant vous votre assassin.

Je fus littéralement épouvantée et tâtai mon corps instinctivement. Mes sens m'avaient trompée. Mon corps n'était plus, mes sentiments ne valaient rien. Je n'étais plus qu'un fantôme, une âme errante à la recherche de son meurtrier qui venait de le connaître et qui prenait enfin conscience qu'elle était morte.

 

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Commentaires

  • Duppelego-Anna (Les songes d'Anna)

    1 Duppelego-Anna (Les songes d'Anna) Le 01/01/2012

    Je trouve ton histoire intéréssante. Tu as du style et c'est fluide.
    Il y a de rebondissements.
  • Laurence

    2 Laurence Le 31/12/2011

    J'aime bien ton histoire. Ta description du paysage me fait penser à une peinture romantique :) Je ne m'attendais pas du tout à la fin ! J'étais persuadée qu'elle allait le sauver et qu'ils finiraient par se marier :/
  • Morgane (Black Moon Ssya)

    3 Morgane (Black Moon Ssya) Le 27/12/2011

    Bah si E-monsite me demande de l'enlever je le ferai, c'est vrai que j'avais pas penser aux conditions d'utilisations... mais d'un autre côté c'est pas non plus des photos donc je pense que c'est moins choquant...

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